La cuisine moléculaire est une pratique culinaire récente, faisant intervenir les propriétés
physico-chimiques des aliments. Elle est intimement liée à la gastronomie moléculaire, qui représente
l’étude des réactions physiques et chimiques lors de l’élaboration de mets cuisinés.
Hervé This, physico chimiste à l’institut national de la recherche agronomique, est un des grands
précurseurs de cette science. Il effectue ses recherches au
Laboratoire de Chimie du Collège de France et il est membre de l’Académie Nationale de la cuisine et de celle
du Chocolat et de la Confiserie.
Nous allons étudier dans cette partie le but de ces avancées scientifiques et ses intérêts dans la société d’aujourd’hui.
La gastronomie moléculaire et physique est une discipline scientifique : en effet, Hervé This et Nicolas Kurti, physicien d’Oxford, ont compris qu’une notion scientifique pouvait utilement être identifiée, non pas dans l’étude des aliments, mais plus spécifiquement, dans l’étude des phénomènes culinaires. Le terme final « Gastronomie moléculaire » fut forgé par Hervé This, après la disparition de son collaborateur anglais en 1998.
Passons au but de ces avancées : pourquoi serait-il intéressant de persévérer dans cette voie ? En effet, Hervé This énumère plusieurs arguments convaincants, comme son intérêt industriel, au niveau de la commercialisation de plats préparés et de l’agroalimentaire ; en effet, certains aliments omniprésents dans l’industrie alimentaire peuvent être à l’origine de contaminations, comme l’œuf. Cet aliment infecté ou mal cuit, est à l’origine de la moitié des cas de salmonellose, infection bactérienne provocant fièvre et crampes abdominales. Dans ce cas, la gastronomie moléculaire est mise en œuvre pour assurer la sainteté des produits de l’agroalimentaire, mettant en jeu la chimie des aliments et la biochimie.
De plus, il est indispensable de pouvoir substituer certains ingrédients dans des recettes, pour leurs propriétés allergisantes. L’œuf par ces propriétés culinaires tel que l’émulsion, la mousse et la coagulation, peut être remplacé par de l’agar-agar, substance naturelle extraite d’algue, car il présente des propriétés comparables. Beaucoup de nouveaux ingrédients sont associés à la cuisine moléculaire, comme la lécithine émulsifiante, les gommes de tara et de caroube épaississantes, ou encore les carraghénanes proche de l’agar-agar, gélifiant. La gastronomie moléculaire permet de chercher des substituts adaptés à partir de l’étude des propriétés physico-chimiques des aliments.
Ensuite, la cuisine moléculaire pourrait occuper une place importante au sein de la société,
dans les générations à venir : la facilité avec laquelle toute sorte de plats peuvent être
préparés, une originalité particulière qui associe science et cuisine, comme certaines recettes
innovantes : caviar menthe-chocolat ou saveur café, spaghetti à l’agar-agar, perles d’alginate
à la menthe, ou encore foie gras au poisson… en effet, de nouvelles recettes peuvent apporter de nouvelles
sensations gustatives, et la gastronomie moléculaire peut être mise en œuvre pour rechercher de nouvelles
sensations lors de la mise en bouche.
De plus, les recettes simples parcourent internet, les instruments et ingrédients indispensables à leurs
réalisations sont déjà sur le marché et la cuisine moléculaire fait doucement son
entrée dans la cuisine de chacun.
Mais encore, la cuisine moléculaire prend une place de plus en plus importante dans la restauration, notamment de luxe, qui s’approprie cette idée qu’ils qualifient souvent d’audacieuse, ludique et joyeuse : les préparations sont inhabituelles et très élaborées, ainsi que l’appellation recherchée des plats : par exemple, le restaurant du Futuroscope de Poitier nous présente son « Cocktail Eruption du futur, Dérive de continents en perles de mangues » ou bien leur «Entrée Eclosion marine de l’océan global et jaune d’œuf du fou baleine ».
En parallèle, les livres d’Harold McGee influencent de nombreux chefs cuisiniers qui s’intéressent à cette nouvelle cuisine, comme Ferran Adria et Heston Blumenthal. Enfin, Hervé This contribue largement à l’expansion de ses idées par l’écriture de quelques ouvrages, comme Révélations gastronomique et Casserole des enfants, dont nous allons développer certaines idées, dans la deuxième partie dédiée à la chimie des aliments et à leurs propriétés physico- chimiques.
De nombreux ouvrages d’Hervé This traitent des propriétés physico-chimiques des aliments : en effet, chaque aliment est constitué de matière pouvant être analysée, expérimentée dans le but d’élargir nos connaissances dans ce domaine.
La gastronomie moléculaire a pour but d’étudier tout ce qui peut se passer dans la casserole, pendant la préparation de plats, toutes les réactions possibles et réelles, comme l’évaporation, la gélification, la mousse… Tous les aliments ont des propriétés physico -chimiques qui leur sont propres, et à partir du fait qu’elles sont connues, on peut s’amuser à tester des nouveautés, en faisant des mélanges originaux, en élargissant nos connaissances dans ce domaine.
De plus, en étudiant les propriétés physico-chimiques, on comprend aujourd’hui quelques dictons culinaires comme le fait de rajouter du sel dans l’eau pour faire bouillir un œuf : en effet, le sel présent dans l’eau servira en cas de cassure de l’œuf : le blanc d’oeuf ne se répandra pas dans la casserole, coagulera instantanément et la cuisson pourra continuer normalement.
En revanche, l’œuf demeure la vedette méconnue de la cuisine. Grimod de la Reynière, dans son
Almanach des gourmands, le célébrait en ces termes: « L’œuf est à la
cuisine ce que les articles sont aux discours, c'est-à-dire d’une si indispensable nécessité que le
cuisinier le plus habile renonceroit à son art si on lui en interdisoit l’usage ». En effet, ses blancs
montés en neige méritent un exposé à eux seuls, les soufflés qu’il nous autorise
à gonfler, font de lui un élément essentiel en cuisine.
Pourtant l’intérêt des œufs, en cuisine, est souvent méconnu.
Pourtant, en cuisine moléculaire, l'étude de l'oeuf va se révéler particulièrement intéressante et ce dernier est très utilisé.
Ne pouvant pas étudier tous les phénomènes physico-chimiques et les propriétés de tous les aliments, l'oeuf est un exemple illustrant parfaitement la discipline.
Son étude servira d'exemple pour les autres mets.
Tout d’abord, l’œuf est indispensable chaque fois que l’on souhaite donner une forme définie
à un mets : on coule l’œuf dans un récipient que l’on chauffe : l’œuf, avec
éventuellement sa garniture, prend la forme du plat et la conserve après la cuisson.
D’autre part, l’œuf apporte, avec ses blancs battus en neige, l’élément moussant dans les
recettes de meringues et de soufflés, pour des mousses qui cuisent, mais aussi dans les recettes de diverses mousses au
chocolat, servies froides sans cuisson.
Ensuite, les œufs peuvent former des gels irréversibles qui piègent des éléments
solides : ce sont les clafoutis ou les quiches. Enfin l’œuf est utile pour ses composés
« tensio-actifs » dans diverses sauces, mayonnaise, béarnaise, hollandaise, jus lié au jaune
d’œuf…
Dans toutes ces utilisations l’œuf est un élément essentiel. On peut se demander pourquoi est il
doté de toutes ces propriétés ? Le jaune, tout d’abord, contient de l’eau pour
moitié, un tiers de lipides (dont les lécithines et cholestérol), et quinze pourcent de protéines. Le
blanc, d’autre part, est constitué presque uniquement d’eau, puisqu’il ne contient que dix pourcent de
protéines (surtout les globulines, de l’ovalbumine et de la covalbumine).
Maintenant que nous avons en mains toutes ces informations, on peut répondre à quelques
questions :
Pourquoi un œuf cuit-il ?
Prenons l’exemple de l’œuf au plat. A priori, la cuisson d’un œuf est une opération
complexe. Pourtant, l’examen des constituants nous montre qu’en première approximation, nous n’avons
là qu’un mélange de protéines et d’eau.
L’eau se comporte sans surprise : quand on la chauffe, sa température augmente progressivement
jusqu’à son évaporation à une température de cent degrés Celsius.
Les protéines, d’autre part, sont des molécules analogues à de longs fils, souvent repliés
sur eux-mêmes en raison de forces qui s’exercent entre les atomes d’une même molécule. Quand on
les chauffe, ces forces faibles sont brisées, et les atomes se retrouvent seuls : le chauffage favorise des
rencontres entre eux, qui peuvent alors se lier même quand ils n’appartiennent pas à la même
molécule. Ainsi, quand la température d’un œuf augmente, les pelotes de fils que sont les
protéines commencent par former des chaines sans se dérouler (le blanc reste translucide), puis apparaît un
réseau dont les filaments sont composés de plusieurs protéines, opaque : l’œuf est
cuit.
Pourquoi le jaune cuit-il après le blanc ?
Nous savons tous que le jaune d’un œuf, sur le plat comme à la coque, cuit bien après le
blanc : plus précisément, les jaunes ne coagulent qu’à une température de huit
degrés supérieurs à la température de coagulation du blanc, et la différence est
capitale !
Pendant la cuisson d’un œuf, la coagulation des protéines du blanc absorbe de l’énergie et
stabilise la température vers 60 degrés, empêchant que le jaune ne coagule.
Les célèbres trois minutes de cuissons des œufs à la coque correspondent au temps durant lequel le
blanc protège le jaune de la cuisson ; après quatre minutes d’immersion dans de l’eau bouillante,
les œufs ont un jaune dont la température a augmenté des huit degrés nécessaires
à leur coagulation.
Pourquoi les parties du blanc proches du jaune cuisent-elles difficilement ?
Tous ceux qui ont déjà fait des œufs sur le plat ont déjà rencontré cette
question : autour du jaune, une partie du blanc refuse de coaguler. C’est que la protéine nommée
ovomucine, dans le blanc, coagule plus difficilement que les autres protéines du blanc ; or, c’est elle qui
donne sa viscosité à la partie des blancs au contact des jaunes.
Comment la faire coaguler sans que le reste de l’œuf soit trop cuit ?
Le sel et les acides (vinaigre, jus de citron,…) favorisent la cuisson d’une solution de protéines dans
l’eau, parce que leurs atomes ou ions chargés électriquement, viennent entourer les atomes portant la charge
complémentaire dans les protéines. Or ces charges électriques toutes de même signe assurent
normalement le repliement et la dispersion des protéines. En présence d’ions complémentaires, les
protéines peuvent se dérouler, se rapprocher et se lier plus facilement. Autrement dit, les protéines
cuisent à plus basse température en présence de sel ou d’acides. Lors de la cuisson d’un
œuf au plat, on obtient un blanc homogène en salant préférentiellement le blanc autour du
jaune.
Les mystères odorants de l’œuf dur ?
Un œuf trop cuit est coriace. Le jaune se cercle de vert, le blanc dégage une odeur déplaisante, et l’œuf ne semble plus frais. La raison est simple : quand on cuit trop les œufs, les protéines qui contiennent des atomes de soufre, libèrent un gaz, le sulfure d’hydrogène, à la célèbre odeur d’œuf pourri. Ce gaz contamine le blanc et lui donne sa couleur verte.
On a pu comprendre avec l’étude de l’œuf le but concret de la gastronomie moléculaire, par la
chimie des aliments et leurs propriétés physico-chimiques. D’autre part, la cuisine moléculaire est
une cuisine plus récente, moderne, qui fait de plus en plus intervenir la science.
Il serait intéressant désormais de se questionner sur la fiabilité de cette innovation qui prend de
plus en plus d’importance.