Partie 1: La perception du goût

Avant de s’attaquer à ses fourneaux, le gastronome doit tout savoir quant au goût, aux différentes sensations que suscitent les mets : les arômes, les saveurs, l’influence des couleurs.
Le rôle de la science : comprendre comment les Hommes perçoivent le goût. Pour la gastronomie moléculaire, la connaissance du goût a plusieurs buts :

La connaissance du goût pourrait donc changer nos habitudes culinaires. C’est pourquoi la gastronomie moléculaire en a fait un sujet primordial.
Nous étudierons les goûts et les saveurs dans une première partie et les arômes dans une seconde partie.

Aristote disait « il y a dans les saveurs comme dans les couleurs, d’une part les espèces simples qui sont aussi contraires, à savoir le doux et l’amer ; d’autre part, les espèces dérivées soit du premier comme l’onctueux ; soit du second comme le salé. Enfin, intermédiaire entre ces deux saveurs, l’aigre, l’âpre, l’astringent et l’acide »

Au 18ème siècle, Carl Linné s’exerça aussi dans la classification des sensations en bouche, mélangeant l’humide, le sec, l’acide, l’amer, le gras, l’astringent, l’aigre, le sucré, le visqueux, le salé ; mettant dans le même sac saveurs et impressions en bouche !
C’est à un français que l’on doit une classification un peu plus exacte : le chimiste Chevreul distingue dès 1820 les sensations olfactives (odorat, permettant d’analyser les substances chimiques volatiles), gustatives (goût), et tactiles. Il reconnait en effet que la perception chaud/froid est distincte de celle du sucré/salé ou acide/amer.
Dans le cercle des gourmets, avec notamment Brillat-Savarin, on reconnait et différencie enfin saveurs et arômes. On sait la langue capable de percevoir les saveurs, mais on découvre également que le nez est aussi un récepteur.
Dans cette confusion et approximation de la classification des saveurs, Brillat-Savarin ajoute « Doux, sucré, salé, acide, acerbe et autres pareilles, qui s’expriment, en dernière analyse, par les deux suivantes : agréable ou désagréable du goût ».


Les saveurs

Comment perçoit-on les saveurs ?

Les physiologistes savent depuis longtemps que nous goûtons les mets grâce à nos papilles. Les papilles sont un groupe de cellules sensibles assurant la détection des molécules sapides (= sont sapides les aliments qui ont une saveur).


Langue


Les récepteurs gustatifs sont en fait contenus dans les bourgeons gustatifs (environ 10 000 chez l’Homme), eux-mêmes contenus dans les papilles. On a longtemps cru qu'il existait des zones dédiées à des saveurs particulières. Il n'en est rien.

Chaque papille réagit à plusieurs types de stimulus. Il existe 4 types de papilles:

Ces papilles, contrairement aux idées reçues, n’ont pas d’implication directe dans la perception du goût mais abritent les bourgeons du goût.
Groupées, organisées, en rangs serrés, leur structure ressemble à celle d’un oignon formé par un amas de cellules sensorielles : les cellules gustatives. Les cellules gustatives du bourgeon du goût se renouvellent environ tous les 10 jours, ce qui assure le maintien du potentiel gustatif.
Chaque cellule comporte à son sommet de fins cils, les microvillosités, qui affleurent et permettent un échange avec la cavité buccale par une petite ouverture : le pore gustatif.

Les microvillosités contiennent dans leurs replis les récepteurs gustatifs. Lorsqu’une molécule sapide dissoute dans la salive est détectée, elle est captée par un récepteur gustatif. Ce dernier envoie alors un message à notre cerveau.


Bourgeon


De plus, la bouche et la gorge contiennent des cellules sensorielles, qui ont pour mission d’envoyer des messages nerveux correspondant aux caractéristiques non gustatives des aliments présents en bouche (comme l’astringent, le métallique, le pétillant, le piquant, l’épicé, le brûlant, le mou…) ; une mission similaire aux papilles filiformes. La cuisine moléculaire va utiliser ce renseignement en créant des textures insolites pour un aliment particulier, comme un caviar de chocolat, une émulsion de tomate ou une gelée de jus de papaille.

Une molécule n’est sapide que si elle est volatile et soluble dans l’eau. En effet, si elle est volatile, elle va se dégager du mets qui la contient ; si elle est soluble dans l’eau elle va se diffuser à travers la salive jusqu’aux papilles.

Par exemple,  l’huile de vaseline, pour ne citer qu’elle, n’a pas de goût car ses composés ne se dissolvent pas dans la salive. Ils ne parviennent donc pas aux papilles gustatives.
En effet, la sapidité d’un élément vient de l’établissement de liaisons entre les molécules sapides et les récepteurs des papilles : une molécule ne va avoir du goût que lorsqu’elle se lie aux récepteurs présents à la surface des cellules gustatives de la bouche. Cette liaison s’effectue par un système de « clef-serrure » : la complémentarité de forme ou de charges électriques permet  à la molécule sapide de venir se lier à la molécule de récepteur spécifique et de stimuler les nerfs qui indiquent au cerveau la perception d’un goût.
Une propriété intéressante de ces liaisons est qu’elles sont faibles. La faiblesse des liaisons va nous permettre de sentir différentes saveurs à intervalles de temps peu important : un goût chasse l’autre.

Au niveau de la perception par le cerveau, nous ne rentrerons pas dans les détails. Il est cependant important de préciser que la perception des arômes, saveurs et sensations proprioceptives (dureté de l’aliment, température) sont assurés par des voies nerveuses qui se mélangent dès l’entrée du cerveau. Ainsi, la perception d’un parfum peut modifier la sensations que nous avons de la perception d’une saveur, par exemple. De plus, la saveur d’un mets peut dépendre de sa température.
Pour étudier la perception des saveurs pures, les physiologistes ont inventé un système  insufflant une légère quantité d’air dans le nez pour annuler l’effet des arômes.

    Depuis maintenant plusieurs siècles, le public et même certains savants croient encore que les saveurs sont au nombre de quatre seulement : le sucré, le salé, l’acide et l’amer.
Cette erreur a pour origine 1916, quand M. Henning proposa sa « théorie de la localisation des récepteurs » : d’après le chimiste, la bouche ne percevrait que ces quatre saveurs, grâce à des papilles spécialisées et confinées à certaines régions de la langue. (Voir schéma)
Cette erreur est aujourd’hui très répandue. En effet, autant dans les livres que sur la toile, on retrouve le même schéma. Le nombre infini de goûts pouvant être perçu suppose que ce modèle est faux.


Saveurs sur la langue


Ainsi, des analyses physiologiques récentes ont révélé en quoi cette théorie est approximative.
Les récepteurs du salé, du sucré, de l’amer et de l’acide, bien qu’en proportions variables, se situent finalement sur toute la langue.
Un contre-exemple à la théorie de Henning : le réglisse, ni salé, ni sucré, ni mer,  ni acide.

Les études récentes n’ont pas remis en cause l’existence de la saveur salé, n’étant due qu’au ions sodium (l’ions chlorure, partenaire de l’ion sodium, agit principalement en stimulant les récepteurs vus précédemment), ni celle du goût acide, dû aux ions hydrogène, mais ont permis de montrer le nombre énorme de goûts différents.
Annick Faurion précise que « s’il y a mille et une saveurs, il n’y a que quatre mots pour le dire ». Faute d’un vocabulaire développé, seul un petit nombre de molécules sont associées au nom d’une saveur : le saccharose est sucré, le chlorure de sodium est salé, la quinine est amère et l’acide chlorhydrique est acide.

Pour résumer, nous connaissons les saveurs suivantes :


Un exemple de l’utilité de l’étude de la perception des saveurs dans la gastronomie moléculaire, en plus du côté didactique et du plaisir de savoir comment notre corps fonctionne, est la recherche du seuil de détection des saveurs.
Ainsi, dès les années 1980, on a découvert que le seuil de détection de saccharose, c’est-à-dire la plus petite quantité de sucre de table perceptible dans une certaine quantité d’eau, varie selon les individus. Autrement dit, la quantité de sucre que chacun va dissoudre dans son café va dépendre non seulement de la sensation que nous aimons percevoir, mais aussi du seuil de détection personnel. De plus, certaines personnes sont plus sensibles au saccharose (sucre de table), d’autres au glucose (le sucre du miel et du raisin).

Qu'en est-il de l’effet des différentes couleurs ?
On dit parfois que les couleurs, sur une table, sont la moitié du repas. C’est probablement vrai : nous n’avons pas le même plaisir à manger dans une salle luxueuse et habilement décorée qu’à manger sur une toile cirée aux couleurs criardes.
Déterminent-elles le goût d’un plat au même titre que son acidité modifie sa saveur ? Une question difficile, car la Gastronomie est justement « l’art d’associer les plaisirs » d’après Hervé This.

Les arômes

On dit d’un gourmet qu’il est un fin palais, mais cette expression n’est pas tout à fait perspicace. En effet, nous goûtons surtout avec le nez. Quand un aliment est mis en bouche, il va dégager des arômes.
Comment le cuisinier peut-il jouer avec les arômes ? Hervé This précise :  « Il doit jouer plusieurs registres à la fois, et chaque registre doit produire son harmonie propre, qui s’harmonise des autres registres ».

L’arôme est la sensation perçue par l’olfaction par voie rétro-nasale, lorsque l’aliment est placé en bouche. En effet, des molécules volatiles sont libérées lors de la mastication de l’aliment et en passant par l’arrière gorge atteignent les récepteurs olfactifs du nez.
Les substances volatiles peuvent alors être détectées par des millions de neurorécepteurs. Ces neurones consacrent une partie de leurs gènes à commander la synthèse de protéines, qui vont jouer le rôle de récepteurs.
Une protéine réceptrice peut détecter entre 3 et 20 molécules odorantes et étant donné qu'il existe 350 récepteurs, cela rend possible par combinaison la détection de millions d'odeurs!


Epices


L’étude des arômes permet aux gastronomes de savoir comment les utiliser, car attention, les molécules odorantes volatiles doivent être utilisées avec précaution !
Un coup de chauffe trop appuyé, et les arômes quittent le plat ou se dégradent. Il faut donc limiter les températures ou rajouter certains arômes en fin de cuisson.
Le poivre, par exemple, ne doit pas cuire trop longtemps. En cas contraire, il peut devenir âcre.

La gastronomie moléculaire préconise l'usage de safran, qui va développer la fragmence (du latin fragare = sentir) d'un mets en apportant des arômes : c'est un arômate.
Le poivre, quand à lui, excite la saveur mais n'a que peu d'odeur : c'est un épice.
Le cuisinier va donc devoir différencier et jouer avec ces deux outils pour maîtriser son art.



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